Le Noël de Cathy

Catherine Virion-Théry - Laventie 62

    

 
Quand j'étais petite, il neigeait toujours à Noël, nous vivions dans une grande maison très ancienne d'Esquermes à Lille, la plus ancienne du quartier disait-on, le chauffage central n'avait pas encore fait son apparition et il faisait très froid en hiver. Je me souviens des vitres de notre chambre qui étaient toutes gelées autant de l'intérieur que de l'extérieur, c'était si joli ce givre qui transformait nos fenêtres, toutes ces petites étoiles glacées qui nous faisaient voir l'extérieur différemment, le jardin tout blanc était magnifique ! Nous dormions à 5 dans cette chambre, la petite dernière, encore bébé, dormait dans la chambre de mes parents. Le soir Papa mettait un grand panneau de bois à la fenêtre pour que le froid n'entre pas trop, je n'aimais pas, la chambre était alors si sombre !

 

A l'approche de Noël, la maison se transformait, l'ambiance était plus chaude, plus calfeutrée. Comme j'aimais ces jours de préparation, Maman mettait les disques des Petits Chanteurs à la Croix de Bois ainsi que d'autres disques et nous chantions en embellissant la maison, ça sentait la cire toute fraîche, Maman en mettait sur les meubles que faisions briller ensuite en frottant avec de vieilles chaussettes en laine. Le soir, il était fréquent que Maman allume la lampe à pétrole et des bougies, pour créer une atmosphère encore plus feutrée, encore plus intime. Papa en rentrant changeait de disque et nous mettait souvent "Petite Fleur", le morceau de jazz qu'il préférait. Aux premiers jours des vacances scolaires, Papa ramenait un sapin, le plus grand qu'il puisse trouver, quelquefois si grand qu'il fallait sacrifier un petit bout de sa flèche pour qu'il entre et trouve sa place dans la maison. Notre tante Marie-Thérèse, qui habitait dans la même rue que nous, nous ramenait alors des petits Jésus en sucre et des nic-nacs (Vous vous rappelez ces petits biscuits ronds avec du sucre en couleur sur le dessus ? Rose, vert, jaune, blanc, c'était si bon !) et nous les accrochions au sapin.

 

Maman terminait ces préparatifs en installant la crèche, elle l'avait achetée juste avant son mariage chez les Carmélites de Lille qui étaient alors boulevard de la Moselle (actuellement, résidence des Ursulines). On mettait d'abord la crèche en bois, bien cirée, ensuite nous disposions l'âne et le boeuf, tout au fond, puis Marie et Joseph et enfin le berger et les moutons, nous avions chacun le nôtre, les deux moutons plus anciens et plus usés étaient celui de mon frère Pierre et le mien. C'était la plus belle crèche au monde à nos yeux. Le Petit Jésus n'avait plus qu'à arriver, comme par mystère le matin de Noël, nous le trouvions alors bien entouré de ses parents et bien au chaud sous le souffle de l'âne et du boeuf. (Je me souviens que j'étais plus curieuse de savoir comment il arrivait chez nous en ce matin magique plutôt que de savoir qui avait déposé les cadeaux au pied du sapin ou de notre lit !... Je ne me souviens pas avoir cru au Père Noël,  j'ai sans doute dû y croire mais ça ne m'est pas resté en mémoire). La maison sentait si bon ces matins-là, à l'odeur de la cire, des bougies, du sapin se mêlait celle des mandarines ou clémentines, je préfèrais ces dernières car il n'y avait pas de pépins dedans.

 

Les cadeaux n'étaient pas comme ceux de nos enfants. Nous n'étions pas bien riches mais nous avons toujours eu un petit quelque chose. Il y eut bien des moments difficiles, mais nos Noëls ont toujours été magnifiques. Je me rappelle d'une fois où nous avons trouvé au pied de nos lits des paquets de crayons de couleur, un paquet pour chacun, eh bien croyez-moi ou pas, nous étions les enfants les plus heureux du monde. Ils étaient tout neufs ces crayons, sans mine cassée ni bout machouillé !...

 

La veille de Noël, en étant plus grands, nous allions avec Maman à la messe de minuit qui avait bien lieu à minuit à l'époque. La messe terminée, il y avait un petit rassemblement à la salle des Fêtes où les paroissiens se retrouvaient autour d'un chocolat bien chaud, ça nous réchauffait pour le retour à la maison. J'aimais ces trajets dans la nuit froide, la neige crissait sous nos pieds et nous nous serrions forts contre Maman. C'était un moment privilégié, car d'habitude les bras de Maman étaient toujours occupés par les bébés et derniers nés !...

 

Le premier de l'an, nous allions tous chez mon grand-père, menuisier sur le boulevard de Metz, là se retrouvaient tous les cousins-cousines, proches ou éloignés, c'était une interminable ronde d'embrassades où les souhaits volaient de partout "Bonne année, bonne santé". Par la suite, quand mon grand-père est venu habiter avec nous, la réunion traditionnelle se faisait à la maison. Ensuite venait l'Epiphanie, ça sentait la fin des fêtes et le retour à la réalité, l'école, la vie de tous les jours. Il nous fallait attendre un an encore pour que la magie se reproduise. Mais nous avions tant de choses à vivre entre-temps ... 

Ces Noëls sont les jours les plus beaux de mon enfance. Curieusement, le dernier bon Noël passé à la maison est celui de 1978, alors que Maman venait juste de nous être enlevée. Nous avions de 7 à 22 ans mais l'âge importe peu quand on perd sa Maman, nous étions 7 enfants orphelins. Et cette année-là, comme pour nous consoler, la neige est revenue, aussi dense et durable que dans notre enfance, la famille et les amis nous ont tous entourés, nous n'étions jamais seuls. Oui, cela devait sembler bizarre, cette famille en deuil dont les enfants faisaient des batailles de boules de neige, construisaient un grand bonhomme de neige et même un igloo (où nous pouvions tenir à 5 sans problème, il est resté debout longtemps après le dégel, demi-sphère glacée au mileu de la verte pelouse).

Et ce Noël 1978, nous avons vu arriver notre tante Marie-Thérèse, bravant la neige et le gel, s'accrochant aux murs pour avancer sans tomber, notre tante Marie-Thérèse qui nous apportait les petits Jésus en sucre pour accrocher au sapin ! Oui ce Noël était bien comme ceux de notre enfance, nous ne voyions pas Maman mais elle devait être près de nous.

Tous les ans, j'essaie de recréer cette ambiance à la maison avec ma petite famille, bien sûr ce n'est plus pareil mais quand je vois mes grands garçons décorer la maison et le sapin, je retrouve dans leurs yeux les petites étoiles qui étaient dans les nôtres étant enfants.

 Décembre 2004

(En hommage à Maman et Papa)