Quand j'étais petite, il neigeait toujours à Noël,
nous vivions dans une grande maison très ancienne d'Esquermes à Lille, la plus
ancienne du quartier disait-on, le chauffage central n'avait pas encore fait son
apparition et il faisait très froid en hiver. Je me souviens des vitres de notre
chambre qui étaient toutes gelées autant de l'intérieur que de l'extérieur,
c'était si joli ce givre qui transformait nos fenêtres, toutes ces petites
étoiles glacées qui nous faisaient voir l'extérieur différemment, le jardin tout
blanc était magnifique ! Nous dormions à 5 dans cette chambre, la petite
dernière, encore bébé, dormait dans la chambre de mes parents. Le soir Papa
mettait un grand panneau de bois à la fenêtre pour que le froid n'entre pas
trop, je n'aimais pas, la chambre était alors si sombre !
A l'approche de Noël, la maison se transformait,
l'ambiance était plus chaude, plus calfeutrée. Comme j'aimais ces jours de
préparation, Maman mettait les disques des Petits Chanteurs à la Croix de Bois
ainsi que d'autres disques et nous chantions en embellissant la maison, ça
sentait la cire toute fraîche, Maman en mettait sur les meubles que faisions
briller ensuite en frottant avec de vieilles chaussettes en laine. Le soir, il
était fréquent que Maman allume la lampe à pétrole et des bougies, pour créer
une atmosphère encore plus feutrée, encore plus intime. Papa en rentrant
changeait de disque et nous mettait souvent "Petite Fleur", le morceau de jazz
qu'il préférait. Aux premiers jours des vacances scolaires, Papa ramenait un
sapin, le plus grand qu'il puisse trouver, quelquefois si grand qu'il fallait
sacrifier un petit bout de sa flèche pour qu'il entre et trouve sa place dans la
maison. Notre tante Marie-Thérèse, qui habitait dans la
même rue que nous, nous ramenait alors des petits Jésus en sucre et des nic-nacs
(Vous vous rappelez ces petits biscuits ronds avec du sucre en couleur sur le
dessus ? Rose, vert, jaune, blanc, c'était si bon !) et nous les accrochions
au sapin.
Maman terminait ces préparatifs en installant la
crèche, elle l'avait achetée juste avant son mariage chez les Carmélites de
Lille qui étaient alors boulevard de la Moselle (actuellement, résidence des
Ursulines). On mettait d'abord la crèche en bois, bien cirée, ensuite nous
disposions l'âne et le boeuf, tout au fond, puis Marie et Joseph et enfin le
berger et les moutons, nous avions chacun le nôtre, les deux moutons plus
anciens et plus usés étaient celui de mon frère Pierre et le mien. C'était la
plus belle crèche au monde à nos yeux. Le Petit Jésus n'avait plus qu'à arriver,
comme par mystère le matin de Noël, nous le trouvions alors bien entouré de ses
parents et bien au chaud sous le souffle de l'âne et du boeuf. (Je me souviens
que j'étais plus curieuse de savoir comment il arrivait chez nous en
ce matin magique plutôt
que de savoir qui avait déposé les cadeaux au pied du sapin ou de notre lit !...
Je ne me souviens pas avoir cru au Père Noël, j'ai sans doute dû y croire mais
ça ne m'est pas resté en mémoire). La maison sentait si
bon
ces
matins-là,
à
l'odeur
de
la
cire,
des
bougies,
du
sapin
se
mêlait
celle
des
mandarines
ou
clémentines,
je
préfèrais
ces
dernières
car
il
n'y
avait
pas
de
pépins
dedans.
Les cadeaux n'étaient pas comme ceux de nos
enfants. Nous n'étions pas bien riches mais nous avons toujours eu un
petit quelque chose. Il y eut bien des moments
difficiles, mais nos Noëls ont toujours été magnifiques. Je me rappelle
d'une fois où nous avons trouvé au pied de nos lits des paquets de crayons de
couleur, un paquet pour chacun, eh bien croyez-moi
ou pas, nous étions les enfants les plus heureux du monde. Ils étaient
tout neufs
ces
crayons, sans mine cassée
ni
bout
machouillé
!...
La veille de Noël, en étant plus grands, nous
allions avec Maman à la messe de minuit qui avait bien lieu à minuit à l'époque.
La messe terminée, il y avait un petit rassemblement à la salle des Fêtes où les
paroissiens se retrouvaient autour d'un chocolat bien chaud, ça nous réchauffait
pour le retour à la maison. J'aimais ces trajets dans la nuit froide, la neige
crissait sous nos pieds et nous nous serrions forts contre Maman. C'était un moment
privilégié, car d'habitude les bras de Maman étaient toujours occupés par les
bébés et derniers nés !...
Le premier de l'an, nous allions tous chez mon
grand-père, menuisier sur le boulevard de Metz, là se retrouvaient tous les
cousins-cousines, proches ou éloignés, c'était une interminable ronde
d'embrassades où les souhaits volaient de partout "Bonne année, bonne santé".
Par la suite, quand mon grand-père est venu habiter avec nous, la réunion
traditionnelle se faisait à la maison. Ensuite venait l'Epiphanie, ça sentait la
fin des fêtes et le retour à la réalité, l'école, la vie de tous les jours. Il
nous fallait attendre un an encore pour que la magie se reproduise. Mais nous
avions tant de choses à vivre entre-temps ...
Ces Noëls sont les jours les plus beaux de mon
enfance. Curieusement, le dernier bon Noël passé à la maison est celui de 1978,
alors que Maman venait juste de nous être enlevée. Nous avions de 7 à 22 ans
mais l'âge importe peu quand on perd sa Maman, nous étions 7 enfants orphelins.
Et cette année-là, comme pour nous consoler, la
neige est revenue, aussi dense et durable que dans notre enfance, la famille et
les amis nous ont tous entourés, nous n'étions jamais seuls. Oui, cela devait
sembler bizarre, cette famille en deuil dont les enfants faisaient des batailles
de boules de neige, construisaient un grand bonhomme de neige et même un igloo
(où nous pouvions tenir à 5 sans problème, il est resté debout longtemps après
le dégel, demi-sphère glacée au mileu de la verte pelouse).
Et ce Noël 1978, nous avons vu arriver notre tante
Marie-Thérèse, bravant la neige et le gel, s'accrochant aux murs pour avancer
sans tomber, notre tante Marie-Thérèse qui nous apportait les petits Jésus en
sucre pour accrocher au sapin ! Oui ce Noël était bien comme ceux de notre enfance,
nous ne voyions pas Maman mais elle devait être près de nous.
Tous les ans, j'essaie de recréer cette ambiance à
la maison avec ma petite famille, bien sûr ce n'est plus pareil mais quand je
vois mes grands garçons décorer la maison et le sapin, je retrouve dans leurs
yeux les petites étoiles qui étaient dans les nôtres étant enfants.
Décembre
2004
(En hommage à Maman et Papa)
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