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Le Castel de Zuthove à Renescure ou  

"Le Château de ma Mère"

 


Ci-dessous deux lettres d'Agnès et Thérèse à leur famille restée à Lille, relatant la vie de "petites fermières" qu'elles vécurent durant ces étés où la guerre semblait quelquefois bien lointaine.

(Petite note : je précise que Sibelle et Julie sont des vaches et Bellotte, une jument).

 

Renescure, le 12 août 1942

Chers Parents,

Je vous écris pour répondre à la lettre de Charles, j'ai beaucoup de choses à vous dire. D'abord, je vous demande si tout le monde va bien et si le travail de tous marche. Es-tu bien fatiguée Maman ? et toi Papa, vas-tu mieux depuis ta dernière syncope ? Je suis bien contente que Charles a bien passé ses quinze jours de vacances. Ici, nous allons toutes les deux très bien, j'ai déjà repris beaucoup de forces et de couleurs. Il y a deux, trois jours, nous avons vu des points lumineux (dans le ciel) comme des ballons dans le ciel et un autre jour quelques points lumineux et un gros ballon noir que l'on voyait bien. Nous voudrions bien savoir si vous les avez vus à Lille et ce que c'était au juste. Cette nuit, la D.C.A. a tiré après les avions anglais. L'autre jour, Petit Paul a retiré la barque avec un de ses camarades ; il y avait plein de petits poissons. Petit Paul a vidé la barque et nous aurions bien voulu y aller mais il restait de l'eau. Nous n'y avons pas encore été car elle est remplie d'eau puisqu'il y a un trou ou plusieurs. Il y a, dans la maison, un héron empaillé qui a été trouvé dans le vivier. Il y a plusieurs jours, en revenant de la moisson, j'étais montée sur Bellotte avec Petit Paul, Cécile, qui arrivait derrière à vélo, nous demanda si elle pouvait passer, Paul dit oui et Cécile passe; mais Bellotte, qui a facilement peur, se mit à ruer. Paul s'était assis comme sur une chaise, glissa et tomba sur ses pieds sans se faire mal. Moi je me tenais au harnais et je ne suis pas tombée. Thérèse était en avant avec Cécile. Elle a fait un bout de chemin sur son vélo puis Petit Paul l'a fait monter sur la Fleur avec Paul de Lobel, un ouvrier. Nous allons quelquefois sur les chevaux quand ils vont à l'abreuvoir. Aujourd'hui, je vais traire Sibelle et Thérèse, je crois qu'elle va traire Julie. Avant-hier, Madame la Baronne, propriétaire du château et de la ferme, est venue nous rendre visite et elle est partie hier soir. Elle est très gentille et elle nous a embrassées ; elle a essayé de traire Julie, elle a réussi puisqu'elle trait bien une chèvre. Les cousins de Monique sont venus chacun leur tour passer 8 jours avec nous. Michel , qui va avoir 10 ans, est venu le premier. En partant, il a pleuré ; il devait partir samedi après-midi et son père est venu le chercher au matin. Nous avons bien joué ; Bernard, qui a mon âge, est venu lundi. Cécile, pour le dimanche matin, fait des petits pains au lait qui sont très bons. Elle dit qu'un jour elle fera peut-être du pain perdu. Hier, après dîner, nous avons essuyé la vaisselle et aujourd'hui aussi. Dites bonjour à Petit Pierre et embrassez-le de notre part. Depuis notre arrivée, nous avons été communier 3 ou 4 fois. Quand vous viendrez, apportez-nous nos livres de messe. Je termine ma petite lettre en vous embrassant de tout coeur.

Votre petite fille qui vous aime bien et prie pour vous.   Agnès

P.S. Nous avons déjà été glaner l'avoine.

Renescure, le 1er septembre 1942

Chers Parents,

Nous avons reçu votre lettre nous annonçant que nous pouvions encore rester une quinzaine de jours, cela nous fait plaisir non pas pour être séparées plus longtemps de vous mais parce que nous aimons bien être à la ferme et prendre le grand air. Hier, les demoiselles sont venues pour voir si nous allions partir, Madame Stoven leur a dit que nous restions quinze jours. Écrivez-nous pour nous donner de vos nouvelles et pour nous dire si c'est vous qui viendrez nous chercher pour retourner à Lille. Madeleine reste encore quinze jours, je ne demande pas mieux comme cela, nous repartirons ensemble. Nous nous amusons toujours bien. Hier, il a fait un gros orage pendant toute la soirée. Il a plu très fort et il faisait noir. Madame Stoven a allumé la bougie bénite et nous a donné de l'eau bénite. Avant le souper, le « bouquet de carriole » est arrivé, c'est Paul Delobelle qui l'a présenté à Madame Stoven en lui disant : « Bonne chance Patronne, heureuse récolte ». Le « Bouquet de carriole » est un bouquet monté sur trois pieds de blé, d'avoine et de tout ce qu'on a moissonné ; les fleurs sont enroulées autour. Ce bouquet, les ouvriers l'offrent au patron ou à la patronne quand la moisson est finie. Aujourd'hui, je ne suis pas très bien , j'ai quelquefois mal au ventre et mal à la tête et Agnès a mal à son pied. Je termine ma petite lettre en vous embrassant de loin, de tout coeur. Votre petite fille qui vous aime et prie pour vous.      Thérèse

    Extraits des archives familiales de la famille Bailleul

      Catherine Virion-Théry  (28 mai 2003)